Courbe du nombre de morts par la guerre : Mack, A. & Pinker, S. (30 décembre 2014), Non, le monde n’est pas en train de sombrer dans le chaos .
Courbe des années de guerre entre grandes puissances : Roser, M. War and peace.
Les médias nous parlent presque quotidiennement de guerres. Cependant, ces situations, certes très préoccupantes, nous empêchent de voir la baisse considérable de morts par guerre au cours des récentes décennies. Il est très rare aujourd’hui qu’un Etat fasse la guerre à un autre, alors que c’était un phénomène bien plus fréquent dans le passé.
Les guerres interétatiques, qui ont fait des centaines de millions de morts dans le passé, ont presque totalement disparu. Les guerres civiles actuelles, aussi dramatiques soient-elles, sont bien moins meurtrières.
La situation s’est aggravée depuis 2010, mais malgré cela, le nombre de morts reste sans commune mesure avec des situations antérieures. Ainsi, le pic considérable de 1994 est dû au génocide des Tutsis au Rwanda (entre 500 000 et un million de morts). Or, une telle quantité de victimes, exceptionnelle lors d’une guerre civile, était assez fréquente dans les guerres internationales d’autrefois. Rappelons par exemple que la Seconde Guerre mondiale a entraîné 60 millions de morts, les conquêtes mongoles par Gengis Khan et ses successeurs (13e siècle) 40 millions, la politique de Staline 20 millions, les guerres napoléoniennes 5 millions. Les victimes de guerre sont bien moins nombreuses de nos jours que dans le passé.
John Mueller a été en 1989 l’un des premiers à analyser cette quasi-disparition des guerres internationales [1]. Selon lui, la guerre entre grandes puissances est progressivement devenue à la fois repoussante et futile [2].
Repoussante car elle a perdu son prestigieux attrait : elle n’est plus synonyme de courage et de vertu et n’apporte plus la gloire à celui qui en fait son métier. Futile car les objectifs internationaux des chefs d’état ont changé. Autrefois, c’était l’acquisition de territoires, la démonstration de force ou encore la promotion d’une idéologie ou d’une religion, tandis qu’aujourd’hui, c’est surtout la prospérité économique du pays, objectif que la guerre ne peut que freiner. Ce « glissement de valeurs » [3] fait que la guerre est généralement considérée aujourd’hui au mieux comme un moindre mal en ultime recours, au pire comme une monstruosité.
Ce processus a été graduel, ce qui explique d’affreuses résurgences comme les deux guerres mondiales. Mais précisément, ces drames n’ont fait que renforcer ce rejet de la guerre [4]. La thèse de Mueller a été abondamment discutée, mais demeure globalement solide[5] et il est permis de faire preuve d’un optimisme lucide pour l’avenir[6], tout en restant vigilant face au risque de résurgences, même limitées, comme c’est le cas depuis quelques années.
[1] Mueller, J. (1989). Retreat from Doomsday : the obsolescence of major war, New York, Basic Books.
[2] Idem, p. 4, 217.
[3] Idem, p. 221
[4] Idem, p. 55.
[5] Fortmann M. & Gomand J. (2004). L’obsolescence des guerres interétatiques ? Une relecture de John Mueller, Raisons politiques, 13, 79-96.
[6] Väyrynen, R. (ed.). (2006). The waning of major war: theories and debates, New York, Routledge. Fettweis, C. (2010). Dangerous time? The international politics of great power peace, Washington, Georgetown university press. David, C.-P. (2013). Repenser la guerre et la paix au xxie siècle, Politique étrangère, 3, 27-38.